Le patrimoine scolaire de la communauté de commune
Sur les 22 écoles édifiées entre 1845 et 1939 sur la presqu'île de Crozon, 15 sont encore en place. Certaines ont subi les bombardements de la Seconde Guerre mondiale (Telgruc, Lanvéoc, Tal ar Groas), d'autres ont été reconstruites pour satisfaire aux nouvelles pratiques pédagogiques et aux évolutions de la société. Au total 15 édifices scolaires ont fait l'objet d'un dossier dont un sur un collège construit après 1950 (collège du Lannic 1953).Les débuts de la scolarisationDepuis la fin de l'Ancien Régime, malgré son relatif enclavement, la presqu'île montre un réel dynamisme et une certaine précocité en matière de scolarisation. Bien avant les lois scolaires du 19e siècle, en 1715, une enquête de la cour seigneuriale de Crozon mentionne la présence d'une « petite école » tenue par des religieux dès le milieu du 17e siècle. L'abbaye de Landévennec possède également une école au début du 18e siècle destinée à l'instruction de la noblesse alentour.Durant la Révolution, chaque commune de la presqu'île dispose d'instituteurs et d'institutrices mais de niveaux très inégaux et avec peu d'élèves inscrits.Les lois scolaires du 19e siècleRepris en main par le clergé paroissial sous le Consulat et l'Empire (1799-1815), l'enseignement sur le territoire semble décliner fortement sous la Restauration (1815-1830). Dans ce contexte, la loi GUIZOT de 1833 va donner une impulsion décisive à l'ouverture de classes, en imposant une école publique de garçons dans toute commune de 500 habitants. En 1836, le rapport de l'inspection primaire mentionne deux écoles à Crozon (une de garçons et une de filles) et deux écoles à Camaret. L'Etat laissant aux communes les charges financières des créations d'écoles, les autres communes de la presqu'île ne peuvent ouvrir une classe. Faute de moyens financiers, la loi ne peut en effet être appliquée partout : en 1846, sur les 282 communes que compte le département du Finistère, 116 sont encore dépourvues d'école. Bien qu'imparfaitement appliquée, la loi Guizot fait cependant évoluer la situation et les mentalités. Pour exemple, sur la presqu'île de Crozon, la comparaison entre les rapports de l'inspection des écoles primaires de 1836 et 1849 est éloquente : en 13 ans, les écoles se sont multipliées sur le territoire et chaque commune a ouvert une ou deux classes.Sous le Second Empire, à l'exception de Landévennec, toutes les communes de la presqu'île ont ouvert une école de filles avant même la promulgation de la loi DURUY de 1867 qui les impose dans les communes de plus de 500 habitants. Parallèlement à ces écoles communales encore contrôlées par l'Eglise, une école congréganiste pour filles est édifiée en 1857 dans le bourg de Crozon.La volonté de couvrir le territoire d'écoles s'exprime tôt à Crozon puisqu'en 1875, la première école du réseau rural est élevée à Saint-Hernot, sur le Cap de la Chèvre. Elle tente de répondre aux besoins d'une population nombreuse et éloignée du bourg. Cette volonté d'instruction pour tous anticipe la loi GOBLET de 1886 qui oblige les communes à pourvoir d'une école les hameaux distants de plus de trois kilomètres d'une agglomération. En 1885, c'est celles de Saint-Fiacre (Crozon) et de Kerdilès (Landévennec) qui ouvrent, puis celle de Kerloc'h (Camaret) en 1897, enfin celles de Tal ar Groas et de Saint-Hernot (deuxième école) en 1908.Les trois principes fondamentaux de l'Ecole républicaine (gratuité, laïcité, obligation) mis en place avec les lois FERRY de 1881 et 1882 ne feront qu'entériner un processus largement engagé dans la presqu'île. Le grand effort va désormais porter sur la construction de maisons d'école car jusqu'ici, la majorité des enfants est accueillie dans des locaux dont la destination ne s'y prête pas, à l'exemple d'une classe de Crozon installée dans l'ancienne chapelle de la Madeleine qui jouxte alors le presbytère. L'école des garçons de Camaret se tient en 1849 au premier étage d'un local dont le rez-de-chaussée est «infecté par des débris de poisson et par des huiles de sardine d'une odeur fétide ; sous l'escalier qui est à jour et dangereux pour les enfants, loge un porc dont l'odeur vient encore ajouter à celle du poisson.» (Inspection des écoles primaires du canton de Crozon, 1849). Les salles sont souvent trop petites, mal éclairées, mal ventilées, humides quand elles ne sont pas délabrées.La création des maisons d'école et l'architecture scolaireLes textes règlementaires définissant l'architecture scolaire apparaissent dès les années 1830, accompagnés de recueils de plans modèles (recueils des architectes Auguste Bouillon 1834 et César Pompée 1871). Mais, avant la création de la Caisse des écoles qui facilite le financement des constructions scolaires (1878), très peu d'écoles primaires sont élevées en France. Ce n'est qu'à partir des lois Ferry que la nécessité de construire des écoles est grandissante et que les normes de construction scolaire sont fixées. Elles s'appuient sur les propositions de l'architecte Félix Narjoux dont la troisième série de son « Architecture communale » (1880) est consacrée à l'architecture scolaire.Dans ce contexte, la création d'une école à Telgruc en 1845 (aujourd'hui disparue), à l'emplacement de la poste et de la mairie actuelles, fait figure d'exception. Un plan d'agrandissement daté 1878 figure l'édifice originel : de taille modeste, la maison d'école comprenait une salle de classe au rez-de-chaussée et un logement pour le maître à l'étage. En 1851, c'est une mairie-école qui est édifiée à Crozon, rue de Poulpatré, ruinée en 1882 par un violent incendie. En 1854 et 1859, deux autres mairie-école sont également construites à Argol et à Camaret, cette dernière étant aujourd'hui très modifiée. Une école congréganiste est également créée en 1857, rue Le Graveran : ses bâtiments sont toujours en place et abritent l'actuelle école Sainte-Anne. Elle adopte un plan en U avec avant-cour centrale qui reprend les dispositions de l'hôtel particulier entre cour et jardin, type de plan caractéristique de la Monarchie de Juillet qui disparaît complètement après 1870.Dès 1880, les normes architecturales édictées par l'Etat pour la construction des écoles sont les mêmes pour toute la France avec pour objectif de dominer les coûts en dominant les projets. Des plans-type sont établis selon les règles qu'imposent la morale et l'hygiène dans l'éducation collective. Ces normes déterminent l'épaisseur des murs, le niveau du sol, la hauteur des plafonds, des fenêtres, la répartition des bâtiments, etc. Cette architecture marquée par le rationalisme se caractérise par l'affirmation des fonctions distinctes de chaque partie : logement de l'instituteur, salles de classes, préaux, lieux d'aisance sont parfaitement lisibles. Conception du programme et traduction architecturale sont ainsi étroitement imbriquées : rien n'est dissimulé. De fait, ces constructions scolaires à l'architecture codifiée sont aisément identifiables. Dans certains cas, la mairie est intégrée au bâtiment (bourgs de Crozon et de Roscanvel). Sur la presqu'île, deux plans-type se partagent les faveurs des conseils municipaux, types qui admettent des variantes en fonction du nombre d'élèves et de la mixité ou non de l'école.Des structures caractéristiquesLe plan en alignement associe le corps de bâtiment à étage abritant le logement des instituteurs à un ou deux corps de bâtiments en rez-de-chaussée destinés aux salles de classes. Pour les écoles non mixtes, une seule aile de classes est construite (école de filles de Camaret 1875, ancienne école de garçons de Telgruc agrandie en 1878, nouvelle école de garçons de Telgruc 1901, école de garçons de Roscanvel 1910). Pour les groupes scolaires mixtes, le corps de logis des instituteurs est doublé, flanqué de deux ailes de classes, une pour les filles, l'autre pour les garçons. A l'arrière des bâtiments, bordée par des préaux, la cour est divisée en deux par un mur de séparation entre les filles et les garçons (groupe scolaire du bourg de Landévennec 1893, groupe scolaire de Kerloc'h à Camaret 1900, groupe scolaire Le Lannic à Camaret 1906). Avec ses nombreux étages d'habitation et de classes, l'ancien groupe scolaire du bourg de Crozon (construit en 1885, détruit en 1970) atteignait une ampleur considérable du fait de sa vocation centralisatrice.Le plan en T est très répandu aussi : Le corps de bâtiment en rez-de-chaussée qui abrite les salles de classes est construit en retour d'équerre, à l'arrière du logis des instituteurs. Cette disposition permet de répartir les cours de récréation de part et d'autre de l'aile qui abrite les classes, de fait, elle est particulièrement adaptée aux écoles mixtes (école disparue de Tal ar Groas à Crozon 1910, groupe scolaire du hameau de Kerdilès à Landévennec 1885, groupe scolaire du hameau de Saint-Fiacre à Crozon 1885). C'est également le type de plan qui a été choisi pour les deux écoles de garçons du hameau de Saint-Hernot à Crozon (1875 et 1908). Situé à la limite de la communauté de communes de Crozon, aujourd'hui musée de l'école rurale, l'ancienne école de Trégarvan présente aussi un plan en T.Un parti plus économique et compact est adopté en 1884 pour le petit groupe scolaire de Roscanvel (aujourd'hui mairie) : l'école abrite sous le même toit la mairie, deux classes et les logements des instituteurs. Ici, les fonctions distinctes de chaque partie sont moins identifiables que sur les autres édifices.Les écoles sont construites en moellon recouvert d'un enduit, la pierre de taille est réservée aux encadrements de baies, aux impostes, aux bandeaux et aux chaînages d'angle. Les façades sont ordonnancées, scandées par des baies régulières.Les architectesParmi les architectes qui ont oeuvré sur la presqu'île, Joseph Bigot et Armand Gassis sont les plus connus et les plus prolifiques. A la fois architecte départemental et diocésain, Joseph Bigot est l'auteur de nombreuses églises, presbytères et écoles du Finistère érigés entre 1835 et 1890 environ. Installé à Quimper, il travaille surtout dans l'évêché de Cornouaille. A Crozon, il réalise les plans de la mairie-école (1851, disparue) et du presbytère. Son fils, Gustave Bigot, réalise les plans de l'école de garçons de Saint-Hernot (1875).D'abord entrepreneur puis architecte à Châteaulin, Armand Gassis réalise de nombreuses écoles et églises dans le Finistère à partir des années 1870. Il est l'auteur des groupes scolaires des bourgs de : Landévennec (1893), Crozon (1885, détruit), Argol (1897), Camaret (1906), Roscanvel (1910), Telgruc (1901, détruit) et du hameau de Kerdilès à Landévennec (1885).L'architecte Jules Boyer de Morlaix travaille également dans le Finistère, où il se spécialise dans l'architecture religieuse durant la seconde moitié du 19e siècle. Il réalise les plans de l'école de filles de Camaret en 1875.D'autres architectes ont signé les plans des écoles de la presqu'île : Jugelet (Camaret, 1859), A. Marie (Saint-Fiacre, 1885), Louis Mer (Roscanvel, 1885), H. Ruer (Saint-Hernot, 1908), Mignon (Argol, 1854).Situation après la Première Guerre mondialeTotalement arrêtée durant la Première Guerre mondiale et les années 1920, la production de bâtiments scolaires reprend très doucement dans les années 1930 avec l'agrandissement du collège Jeanne d´Arc (1931), de l'école Saint-Fiacre et la construction du groupe scolaire de Crozon-Lanvéoc (1939), détruit par les bombardements en 1944.Cette production va connaître un second souffle au cours des années 1950 devant la nécessité de construction liée aux dommages causés par la guerre et à l'explosion démographique (groupes scolaires de Telgruc, de Lanvéoc et de Tal ar Groas, collège du Lannic à Camaret...).ConclusionLe réseau des écoles est important sur la presqu'île : aux écoles de bourg s'ajoutent les écoles rurales de hameaux liées à l'habitat dispersé et à l'augmentation de la poupulation dans la seconde moitié du 19e siècle. Eléments structurants du paysage urbain et rural, les écoles se situent dans des lieux privilégiés de la ville ou au bord des routes. Aisément identifiables, elles sont le symbole incontournable de l'idée républicaine car si l'architecture scolaire apparaît sur le territoire dans les années 1840-1850, elle prend réellement corps sous la Troisième République, à partir des années 1870, pour s'affirmer à la fin du 19e siècle et au début du 20e siècle. La mise en forme de l'école apparaît en même temps que celle de biens d'autres édifices publics (mairies, halles, hôpitaux, gares, églises ...) dont il y a, par ailleurs, relativement peu d'exemples sur le territoire. Parmi les écoles de la presqu'île, l'ancien groupe scolaire dit "du Lannic" à Camaret se démarque par la qualité de sa construction et l'ampleur de ses volumes. D'autres exemples sont particulièrement bien conservés tels les écoles des hameaux de Kerloc'h (Camaret), de Kerdilès (Landévennec), les écoles des bourgs de Landévennec et de Roscanvel. Rue Le Gravéran à Crozon, l'école Sainte-Anne est le plus ancien édifice scolaire conservé sur la presqu'île (1857), son plan caractéristique témoigne des écoles antérieures à la Troisième République.
Auteur(s) du descriptif : Tanguy-Schröer Judith ; L'Haridon Erwana ; Le Lu Stéphanie ; Maillard Florent ; Douard Christel
Par : L'inventaire du patrimoine